Monsieur,
Madame,
«I had a dream» où mes 56 pieds de toile, en pièces détachées, de dix couleurs distinctes avec, en ajout, dix textes respectifs, relatant en partie, mon aventure, mes impressions et autres élucubrations, ayant comme point de départ chacune de ces couleurs, étaient, d'une traite, étalés sur un de vos murs. (5'6" x 7' ) x 10).
À l'instar de la critique de l'art, celle qui voudrait être un genre littéraire à même titre que les autres, je propose que le titre d'une oeuvre d'art le soit aussi. Afin d'illustrer mon point de vue sur la chose, j'ai allongé de quelques mots, de quelques phrases, là où la convention aurait voulu qu'un mot ou deux suffisent, à titre de titre, pour évoquer l'oeuvre. Puisque le propos en est un de peinture, j'ajouterais que certains dictionnaires définissent le verbe peindre comme étant la représentation des êtres et des choses par le biais de la peinture ou de l'écriture.
Ces tableaux monochromes dont je parle ne sont pas rares en art contemporain, certes. Le "monochromiste" par contre l'est. Je suis unique; ça va de soi, ainsi que ma sélection de couleurs et ma façon de les appliquer. Mes raisons pour le faire le sont aussi.
Revenant d'un assez long voyage en Inde, durant lequel je constatais l'énormité de ce pays, je me suis limité, dans ma volonté de vouloir marquer l'événement, à quelques photographies, à autant de livres sur le sujet, à quelques ébauches picturales et, à mon retour dans l'atelier, à ces toiles que je propose.
Elles sont monochromes, de couleurs faites à partir de pigments avec lesquels je cherchais à cerner le caractère bouleversant qu'a la couleur en cet endroit, c.-à-d., ce coloris qui ébloui dès l'arrivée, jusqu'au départ. On le retrouve bariolé sur les panneaux publicitaires, plâtré sur les murs qui, partout, ceignent les propriétés. On le remarque au premier contact avec les gens, surtout les femmes. Les couleurs éclatent de partout, à saturation, et lorsqu'on croit ne plus être capable d'encaisser, le visuel nous envahit derechef et rejoint ainsi le tintamarre de la rue. Les couleurs sont nuancées par le soleil puissamment chaud et la fumée toujours présente d'un quelconque feu, ou de l'encens qu'on fait brûler incessamment. À tout ça, on ajoute l'âge et le temps qui ne cesse d'altérer les surfaces peintes ou badigeonnées de ces enduits évanescents. Plus tard, lorsqu'on imagine toutes ces couleurs bien cuites par le soleil, il y a la mousson qui balaye et lave tout, laissant derrière cette impression qu'effectivement, même si le pays est jeune, il nous vient de la pré-histoire.
Ceci dit, peu importe la porte par laquelle on entre dans cet univers, on a vite compris que l'Inde est un sujet titanesque, et qu'à côté, on est petit, très petit. Grâce à elle, pendant cinq mois, j'ai eu l'impression de voyager dans le temps. J'en ai retenu dix couleurs et quelques rêveries. Je vous prie de les ajouter aux autres choses que vous gardez de moi dans vos archives.
Sincèrement,
Sylvain Cousineau
Octobre 2007